Concerts enregistrés les 26 et 27 mars 2021 et diffusés les 2 et 3 avril 2021
Texte et photos © Jean-Philippe Porcherot
La situation sanitaire imposant un festival à huis-clos, avec protocole strict, seule une poignée de spectateurs regroupant organisateurs (mairie de Salaise-sur-Sanne et structure TEC-Travail et Culture), techniciens et quelques représentants de la presse, ont pu assister à cette édition du Salaise Blues Festival.
Annulé l’an passé pour cause de confinement lié à la pandémie virale à COVID-19, ce festival isérois, qui est l’un des plus anciens festivals Blues de l’Hexagone, se faisait un devoir de soutenir les artistes initialement programmés, même si une nouvelle formule devait être mise en place pour occuper l’espace médiatique.
Les têtes d’affiche Delgres et Big Daddy Wilson s’étant désistées, 4 concerts répartis sur 2 soirées nous étaient donc proposés, à savoir Sébastopol et Mister Mat le vendredi 26 mars, puis Képa et Luke Winslow-King le lendemain, performances certainement frustrantes pour les musiciens en l’absence de public.
Entrecoupé d’interviews des artistes, mais aussi de Michèle Treille, élue à la Culture et de Philippe Briot, directeur de TEC, interviews réalisés par le duo radiophonique de Blues Café, Francis Rateau - Cédric Vernet, l’enregistrement de ces concerts fut diffusé gratuitement via les réseaux sociaux le week-end suivant.
Sébastopol nous entraîne tout d’abord dans son univers onirique, où l’aspect visuel prend autant d’importance que la performance musicale. Débutant par St-James Infirmary, son set nous propose de nombreuses reprises, dont les arrangements façon one-man-band font preuve tout autant d’originalité que son décor personnel. Multi-instrumentiste, Sébastopol nous gratifie d’un solo de contre-bassine maison sur un titre de Tampa Red, nous invite à un voyage ferroviaire par l’harmonica, la guitare et diverses percussions, nous évoque, avec bruit rythmé de chaînes à l’appui, les chains gangs via un chant de travail, chanson de Dobby Red enregistré dans un pénitencier par Alan Lomax, ou fait preuve d’éclectisme instrumental (ukulélé, contre-bassine, washboard, banjo, kazoo, harmonica et ocarina) sur une adaptation du Vieille Canaille de Monsieur Serge Gainsbourg, avec intro à la scie musicale. Le tout est émaillé d’anecdotes à visée plus ou moins pédagogique sur l’histoire des différents titres interprétés, avec en prime l’utilisation d’une guitare 12 cordes pour évoquer Leadbelly. Cette prestation originale se termine par une version très personnelle du Catfish Blues de Robert Petway.
Mister Mat paraît, quant à lui, plus déstabilisé par l’absence de public. Se nourrissant habituellement de l’interaction musiciens-spectateurs, l’ex-Mountain Man semble éprouver quelques difficultés à trouver ses marques, mais nous délivre finalement avec son band un set de qualité. Alternant titres en français et en anglais, le répertoire est varié et essentiellement tiré de son dernier opus Désespérément optimiste sorti en 2020, en pleine période de confinement… des textes ciselés au service d’une sensibilité à fleur de peau.
Le groupe est entièrement au service de son leader avec des interventions remarquées de Laurian Daire aux claviers sur une rythmique efficace de la paire Aurélien Calvel (basse) – Julien Audigier (batterie).
Si nous n’avons pas droit à l’habituelle excellente version de Georgia In My Mind, Mathieu Mister Mat Guillou nous régale cependant avec la primeur de Je m’envolerai, un titre teinté de Gospel, mettant en valeur ses qualités vocales. Cette petite perle devrait figurer sur son prochain album, dont la sortie est prévue en juin de cette année.
En rappel, Mister Mat nous gratifiera d’un remarquable slow Blues très inspiré, qui semble cependant ne pas avoir été enregistré.
Képa, voix superbe souvent sombre et envoûtante telle une Divine Morphine, nous offre un set remarquable de Blues Pop psychédélique intimiste. En one man band original, voire surprenant, l’ex-skateur professionnel reconverti en musicien allie son jeu de guitare et parfois d’harmonica à une rythmique souvent hypnotique, à laquelle s’ajoute une petite touche d’électronique savamment dosée. Képa, attaché au travail d’écriture, compose aussi bien en anglais qu’en français. À noter, une reprise de bonne facture de l’instrumental Hill Stomp de Robert Belfour, témoignant de certaines influences américaines de l’artiste. Pour découvrir ce phénomène débarqué fraîchement sur la planète Blues, n’hésitez pas à écouter sa dernière production, Doctor, Do Something (2020), vous ne serez pas déçus.
Luke Winslow-King, bien que de nationalité américaine, réside actuellement en Espagne. Très influencé par 15 années passées à La Nouvelle-Orléans, son répertoire se révèle assez nuancé. Guitariste moyen et chanteur honnête, il est secondé par son ami et excellent guitariste Roberto Luti, qui séjourna également à NOLA en 1999, jouant avec Washboard Chaz… et dont le jeu slidé fait mouche sur la majorité des titres. Luke Winslow-King ne dédaigne pas s’aventurer dans le style North Mississippi Hill Country Blues, soit le temps d’une reprise de Jessie Mae Hemphill, soit le temps d’une composition plus personnelle, utilisant harmonica ou tambourin à cymbalettes. Son set est agréable, rythmé, proposant une partie plus acoustique le temps d’une ballade, qu’il enregistrera prochainement, ou lors de l’interprétation de Money Call dans un style plus Country, terminant cet intermède par le très intimiste No More Crying Today, sur lequel le jeu de guitare en slide de Roberto Luti se révèle d’une grande sensibilité. Avec le retour de l’ensemble du groupe sur scène se succéderont un Swamp Blues électrique suintant la moiteur du bayou, une ballade électrique et, en apothéose finale, un Boogie survitaminé dans la veine Hill Country Blues.
Merci à l’ensemble de l’organisation de nous avoir concocté ce programme varié et de qualité, dans ce contexte si particulier, dont la Culture fait les frais chaque jour un peu plus, en attendant une hypothétique reprise des spectacles dans les conditions live que nous apprécions tant.