Préparée et réalisée par Christian Le Morvan
Photos © Thierry Wakx,Paulo Duarte et Aleksandra Skobeleva
Pour la sortie de son 3ème album, Cecilya Mestre, qui a des similitudes avec la regrettée Candy Kane, a répondu à nos questions ainsi que Rodolphe Dumont son guitariste, qui a coécrit l’album avec la miss. Entrons dans l’intimité de ce nouvel album très swinguant.
© Thierry Wakx - Festival Les Vexinoises
Blues Magazine > Bonjour, pouvez-vous nous raconter la genèse de ce 3ème album ?
Cecilya Mestres > J’avais envie de rendre hommage à cette ville magnifique qui m’a donné l’envie d’écrire des chansons. Même si je côtoie la scène depuis mes 14 ans, c’est depuis mon installation à Paris que j’ai pu réaliser ces 3 albums. C’est donc un remerciement à tout ce que j’ai reçu depuis mon arrivée (et à tout ce qui reste à venir). Tout cela sans oublier mes racines d’où je viens et ce qui me définit.
BM > Pourquoi ce titre Parisian Mambo ?
CM > Je pense que Paris et le Mambo sont deux choses liées à mon univers personnel. Le titre de cet album devient une lettre de présentation pour tous ceux qui ne me connaissent pas ou peu. D’un côté, Paris est la ville de mes rêves depuis toute petite et c’est aussi ma maison maintenant. Paris m’a accueillie et m’a fait grandir personnellement et musicalement ces dernières 6 années. Et puis le Mambo représente mes racines, ce côté latino qui coule dans mes veines. Cela devient une partie très importante de mon identité. À la maison, ma mère écoutait des Boleros, des Rancheras, des Mambos et toutes ces musiques latino-américaines en espagnol. Et j’ai choisi le Mambo comme genre phare, car c’est un style de musique qui devient un phénomène de masses aux États-Unis dans les 50’s, cette décennie qui inspire autant ma musique.
BM > Comment avez-vous construit cet album, paroles puis musiques ou l’inverse ?
CM > Il y a de multiples façons de composer des chansons… Pour ma part, j’écris les paroles. Parfois elles partent d’une idée spontanée d’un titre (Parisian Mambo) ou d’un refrain (Travelin’ Woman), et parfois j’ai une mélodie en tête et j’écris les textes (Blue Door House Boogie). Parfois, Rodolphe arrive avec des accords sur lesquels je crée des mélodies et des paroles (Champagne) ou d’autres fois c’est lui qui propose accords et mélodie et j’écris les paroles dessus (Ruby). Heureusement, j’ai plein de choses à dire. Les idées ne manquent pas. En plus, on adore expérimenter avec les sons, les mélodies et les infinies possibilités que la musique nous offre. On a la chance d’avoir un studio (Chez Zim), ce qui nous permet de profiter de périodes de tâtonnement artistique.
© Paulo Duarte - Blues Wine Festival Portugal
BM > Vous coécrivez avec Rodolphe Dumont votre (excellent) guitariste, comment s’est fait cette rencontre, depuis combien de temps travaillez-vous ensemble et qu’apporte-t-il à la création ?
CM > Je suis très fière de pouvoir profiter de cette collaboration artistique et personnelle avec Rodolphe. Je me rappelle très bien de notre rencontre : je suis arrivée à Paris un jeudi soir, et le lundi suivant, je suis montée sur scène à la jam de Blues du Caveau de la Huchette et c’est là où tout a commencé. Après des dizaines de compositions, des centaines de concerts et 3 albums ensemble, je peux dire que c’est l’une des rencontres les plus importantes de ma vie. Rodolphe, en plus d’être un guitariste très doué -parmi les meilleurs de la scène Blues française actuelle selon mon humble avis-, est une personne très professionnelle avec une oreille incroyable et une énorme créativité. En plus, il est beaucoup plus calme que moi et très positif, donc ça fait vraiment du bien de partager le studio et la scène avec lui.
BM > Et pour vous comment s’est fait la rencontre avec Cecilya ?
Rodolphe Dumont > Tout simplement lors d'une jam session au Caveau de la Huchette, Cecilya est montée sur scène aux côtés du groupe pour chanter, et tout de suite sa prestation, qui a dépoussiéré les enceintes du Caveau, m’a fait forte impression. Par la suite, nous nous sommes revus et les choses se sont enclenchées naturellement.
BM > Depuis Big Dez, votre jeu de guitare a encore évolué. Est-ce le fait de jouer dans le band avec Cecilya ?
RD > Au sein de Big Dez, j’avais plutôt un rôle d’accompagnateur au service de la rythmique, et le style du band naviguait entre Blues, Funk, Rock... dans un esprit plutôt moderne. Avec le projet de Cecilya, nous sommes dans une musique plus roots, inspirée du Rhythm’n Blues 50’s avec des sons vintage. C’est comme un retour aux sources, et il faut bien le dire j’adore ça !
BM > Quel est votre rôle dans le band, à part bien sûr le jeu de guitare ?
RD > Je me concentre principalement sur la composition, car nos albums sont faits principalement de chansons originales. J’essaye d’apporter une couleur précise à nos créations lors de l’enregistrement et du mixage de l’album. Sur scène, je fais en sorte que l’on reste fidèle à ces orientations, et je conduis le camion !
BM > Comment se passe la collaboration, pas de problème d’égo ?
RD > Tout se passe au mieux, Cecilya reste la leader du groupe. Elle sait parfaitement ce qu’elle veut, aussi bien musicalement qu’humainement, donc ça roule.
© Aleksandra Skobeleva
BM > Vous avez de nouveau collaboré avec Sax Gordon, pour notre plus grand plaisir. Pour quelle raison et comment s’est fait la rencontre ?
CM > Gordon est un musicien incroyable, j’ai adoré les arrangements de saxophone ténor et baryton, ainsi que son formidable jeu sur notre précédent album Back In 1955, et je ne pouvais pas m’en passer pour Parisian Mambo. Je voulais à tout prix que ce soit lui à nouveau. Ma rencontre avec Gordon, encore une fois, s’est faite au Caveau de la Huchette en 2019, l’année de mon arrivée en France (oui, j’y passe beaucoup de temps - Rire). Depuis ce jour-là, on échange souvent par message et on se voit quand il vient en France. En plus d’un excellent musicien, c’est une personne très agréable et érudite.
BM > Vous nous faites voyager dans un style Swing et Rock des 50’s. C’est véritablement votre ADN et vos influences ?
CM > Le Rhythm’n Blues de la fin des 40’s aux débuts des 60’s, c’est la musique qui me fait vraiment vibrer. Ce mélange de styles, si variés et si proches en même temps, est une révélation pour moi. Le Blues, le Boogie, le Rock’n Roll, le Mambo et le Swing transpirent dans nos compositions, même si on essaie toujours d’être originaux. En même temps, mes textes ne parlent pas seulement d’amour et de célébration comme à l’époque, ils parlent également de rêves, de luttes intérieures, de guérison, d’émigration, de ma mer Méditerranée natale, de la chance d’être une femme libre, du monde dans lequel nous vivons, la nostalgie des temps meilleurs… Comme j’aime toujours dire, notre musique est retro music with contemporary values.
BM > Qu’est-ce qui vous a fait venir vivre à Paris ?
CM > Je suis arrivée à Paris en cherchant à m’ouvrir à des audiences plus larges. À l’époque, je chantais dans des hôtels de luxe aux Îles Baléares. Même si je gagnais ma vie avec la musique, le public ne venait pas pour moi. Donc finalement, c’était un travail alimentaire et pas vraiment artistique. Puis, l’École de Blues de Buenos Aires et le guitariste argentin Nacho Ladisa m’ont organisé une tournée en Argentine en 2018 et là, je me suis rendue compte que les gens chantaient avec moi les chansons de Rhythm’n Blues. J’ai eu un déclic, j’ai décidé que je voulais chanter pour des gens qui aiment la musique que j’interprète. En rentrant de cette tournée, j’ai décidé de poser mes valises à Paris. Théoriquement, c’était juste pour quelques mois, mais un mois après mon arrivée, j’ai eu mon 1er concert et j’ai décidé de rester.
BM > Vous êtes d’origine espagnole, parlez-nous de la scène Blues en Espagne ?
CM > Il faut avouer que je n’ai jamais vraiment fait partie de la scène Blues espagnole, car je vivais aux Îles Baléares qui sont assez déconnectées de la péninsule. J’ai eu l’opportunité de connaître la scène Blues espagnole à posteriori, avec la sortie de Back In 1955, produit par le label espagnol Meseta Records en 2023. L’album et le label nous ont amené à nous produire dans des festivals en Espagne. Ce que j’ai pu apprécier, c’est qu’il y a beaucoup de talents, une énorme créativité, et les musiciens donnent toujours le meilleur d’eux-mêmes. Par contre, c’est dommage que l’état espagnol n’investisse pas assez dans la culture, et plus particulièrement dans la musique. La plupart des musiciens de la scène Blues espagnole sont dans une situation assez précaire et ne peuvent pas juste se consacrer à leur art. Ils sont obligés d’avoir un travail alimentaire à côté pour vivre correctement.
BM > Votre band se nomme The Candy Kings. Est-ce parce que vous aimez les bonbons (lol) ?
CM > Ça peut paraître étrange, mais plusieurs personnes m’ont dit que mes shows leur rappelaient ceux de Candy Kane, d’où l’idée du jeu de mots en hommage à cette grande dame du Blues… Et non, je n’aime pas particulièrement les bonbons, mais mes musiciens, oui (rire).
BM > Avez-vous quelque chose à ajouter ?
CM > Puisque vous m’offrez l’opportunité, je tenais à remercier François Maincent et André Brodzki de Dixiefrog, qui m’ont fait intégrer leur nouveau label Rock’n’Hall. Et un grand merci aussi à toutes ces personnes qui, comme Rodolphe, m’ont fait confiance depuis mon arrivée en France et ont rendu possible mon installation ici, où j’ai la chance de pouvoir vivre de ma passion. Les musiciens et le public m’ont ouvert les portes et j’en suis très reconnaissante. Gracias !
CECILYA & THE CANDY KINGS
Parisian Mambo
Dixiefrog
Cecilya et ses Candy Kings nous emporte, avec ce 3ème album, dans un Swing et un Rock’n Roll des 50’s, de La Nouvelle-Orléans jusqu’à Chicago. Cecilya Mestre, chanteuse, auteure, compositrice, et Rodolphe Dumont, son excellent guitariste, ont coécrit la majeure partie des titres excepté Flamingo. Après un 1er titre instrumental composé par Rodolphe Dumont, on rentre dans le vif du sujet et ça swingue, ça balance dans un cocktail explosif ! On est dans l’ambiance des fifties. Le duo s’est adjoint les services du fabuleux saxophoniste Sax Gordon, qui envoie de superbes parties cuivrées très bien intégrées dans le mix. Cecilya possède une belle voix puissante vraiment faite pour ce type de musique. En 2023, la Barcelonaise a été élue Meilleure Artiste de Blues Féminin à l’international à l’émission de la radio anglaise The Blues Lounge Radio Show. Un très bon album de Swing qui donne envie de danser.