Interview préparée et réalisée par Éric Matelski
Photos © Éric Matelski
J’ai habité pendant plusieurs années en Nouvelle-Calédonie. Sur le caillou, pas de scène Blues comme ici. Il y a bien entendu des amateurs du style*. Lors de ce séjour, j’ai eu la joie de rencontrer Kaori. Ce duo, formé d’Alexis Diawari et Thierry Folcher, m’a marqué par leur sensibilité. Cet été, j’apprends qu’un tourneur de l’Hexagone les prenne sous ses ailes. Ce serait une bonne idée et j’ai le plaisir de vous les présenter…
Blues Magazine > Même si on peut vous retrouver nombreux en concert ou sur les albums, à mes yeux Kaori est avant tout un duo ?
Kaori > Nous fonctionnons en duo depuis l’origine, il y a de nombreuses années. Une complicité s’est naturellement installée entre nous pour créer une synergie artistiquement productive. Nos styles différents se complètent idéalement.
BM > Votre formation a pris le nom d’un majestueux arbre de Nouvelle-Calédonie. Quelle est la signification ?
Kaori > Le kaori est d’abord un arbre symbolique dans les mythes kanak. Pour nous, c’est un symbole personnel à la fois d’enracinement et d’ouverture sur le monde, par l’étirement des branches dans les cieux. C’est ce type d’équilibre entre des réalités apparemment contradictoires que nous avons à cœur d’établir.
BM > Est-il facile pour un groupe calédonien de vivre et de sortir du caillou ?
Kaori > Il est très difficile quand on réside au fin fond de l’Océan Pacifique de braver l’énorme distance qui nous sépare des scènes européennes ou globalement étrangères. Nous sommes situés à plus de 18 000 km du cœur de l’Europe, il faut 23 h d’avion pour y arriver. La distance et le coût des transports deviennent un obstacle majeur. Les codes culturels ne coïncident pas toujours, et il faut faire face à un anonymat complet. L’effort promotionnel est d’autant plus important. C’est un défi que nous relevons depuis plusieurs années avec persévérance au fil de nos séjours.
Alexis Diawari
BM > Sur vos 3 anciens albums, on peut entendre On joue Blues, ça nettoie l’âme. Que représente le Blues pour vous ?
Kaori > Le Blues est avant tout lié à une histoire difficile et à un état d’esprit fait à la fois d’espoir et de déception, l’arrière-plan psychologique étant toutefois la nostalgie, le sentiment de perte et d’échec. L’humour est un ingrédient essentiel qui vient pimenter des textes souvent satiriques, voire scabreux. C’est la réalité de l’existence des laissés-pour-compte dans l’âpreté, mais aussi dans une joyeuse résilience qu’on prend en pleine figure. Dérision et autodérision y sont comme une leçon de vie, avec un brin de fatalisme enjoué. En ce sens, ça nettoie l’âme : on se débarrasse de ses illusions, les écailles tombent des yeux, on va à l’essentiel.
BM > Votre musique est riche en métissage. Comment la classifiez-vous ?
Kaori > Le métissage est un fait culturel qui repose sur une réalité biologique. Les échanges des sangs conduisent à un mélange des rythmes, des sonorités, des philosophies, des modes de vie. Tout cela se répercute directement dans les recherches personnelles des artistes. La déesse Métis représente dans l’antiquité grecque les valeurs d’intelligence et d’habilité. Peut-on parler mieux de la musique en tant que partage ? Le problème des classifications correspond à une démarche d’organisation de catégories face à la confusion. Ça peut être louable en soi, mais dans la mouvance du monde moderne, c’est souvent illusoire. On classe souvent par défaut. Dans notre cas, nous sommes définis comme Jazz World par certains. Il y a du vrai puisque nous nous inspirons des courants latins, Reggae, Blues, Rock, Traditionnel… Mais aucune étiquette ne saurait recouvrir complètement notre identité et c’est tant mieux, on est libres. Nous ne nous réclamons d’aucune école et encore moins d’aucune chapelle.
BM > Des talents ont participé à ce 4ème album. Parlez-nous de l’enregistrement !
Kaori > Notre chemin a providentiellement croisé celui de grands musiciens de la scène française, grâce à notre mentor Lionel Gaillardin qui a enrichi nos albums de leur collaboration éblouissante dans son studio Bonsaï à Colombes. Ainsi, Dominique Bertram, Michel-Yves Kochmann, Alain Debiossat, Claude Égéa, Jean-Marie Ecay, Éric Lafont… j’en oublie. Pour la plupart ce sont des amis. Nous louons leur gentillesse, leur simplicité et leur disponibilité.
Thierry Folcher
BM > Ce dernier album Dans l’attente d’un signe est un appel à la paix. Avec l’actualité en Nouvelle-Calédonie, comment résonne en vous votre titre Se tendre la main ?
Kaori > Nous avons écrit Dans l’attente d’un signe et plus particulièrement cette chanson Se tendre la main comme un dépassement des antagonismes et des radicalisations, au-delà des idéologies porteuses de conflits et de guerres. Se tendre la main par-dessus les partis politiques qui pratiquent souvent l’esprit de système. La solution n’est pas dans les systèmes, l’histoire bégayante le prouve. La clé est au fond des consciences individuelles, mais pour cela, il faut faire l’effort de penser par soi-même au lieu de suivre aveuglément des consignes de vote ou d’agiter des drapeaux sans réflexion personnelle. C’est un peu ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie où le débat politique est tragiquement simpliste et manichéen. En ce sens, l’album est un appel à la paix.
BM > Vous chantez C’est si simple d’être heureux. Avez-vous une potion magique ?
Kaori > Encore une fois, l’approche purement intellectuelle visant à découper le réel en catégories étanches est desséchante. Elle appauvrit l’existence, se situant aux antipodes de la vraie vie. Rimbaud l’avait évoqué dans sa poésie visionnaire se situant hors des schémas classiques, à la recherche de la vraie vie qui est ailleurs, en dehors des systèmes figés imposés par une technocratie dogmatique liberticide. Retrouver les bonheurs élémentaires sous la couche des habitudes et des automatismes imposés, c’est accéder à nouveau à la capacité des enfants de s’émerveiller des choses les plus simples. C’est donc à la fois simple et compliqué d’être heureux, car il faut une prise de conscience et un choix déterminant. La potion magique c’est l’enthousiasme qui aboutit au plaisir simple d’empoigner sa guitare par une belle matinée ensoleillée, de humer le bon café qui s’impatiente dans la tasse en compagnie de ceux qu’on aime, promener entre ses doigts un banal stylo sur une feuille blanche. C’est la jeunesse éternelle qui dément l’état civil.
BM > On vous retrouve en concert en Belgique depuis des années, une tournée en France c’est pour bientôt ?
Kaori > La Belgique est notre porte d’entrée grâce au hasard de rencontres et de la promotion dynamique de Radio Equinoxe de Namur, sous la houlette de son Président Guy Carpiaux. Nous trouvons en Wallonie la bonhommie, la simplicité et la générosité que nous apprécions à sa juste valeur. Toutefois, nous nous dirigeons aussi sur Paris, où nous disposons de contacts à la fois professionnels et amicaux pour promouvoir notre album et terminer par un concert le jeudi 14 novembre au Sunset/Sunside, rue des Lombards. Nous sommes donc désireux de tourner à Paris et en France.
BM > Comme à mon habitude, je vous laisse la liberté du mot de la fin.
Kaori > Le mot de la fin consiste à dire qu’on a le devoir d’aller au bout de son aventure personnelle avec persévérance et humilité, car il s’agit en définitive, au-delà des péripéties superficielles liées à l’acquisition de la notoriété, d’un chemin de vie à accomplir sous forme de réalisations personnelles et collectives. Notre aventure artistique se double d’une aventure humaine qui donne sens à nos vies.
https://kaori-officiel.com
*voir : https://www.bluesmagazine.net/CMS/index.php/comptes-rendus-concerts/671-quand-la-parole-du-blues-s-invite-sur-le-caillou